Martine Gerber fournit au Radis son jus de pommes, des framboises, et pendant un temps aussi des tisanes, le tout issu d’une culture biologique. En parlant avec elle je découvre une palette plus large de produits qui va des fruits secs à l’eau de vie de prunes, en passant par le vinaigre de pommes. Mais surtout je découvre une femme avec une vision très claire de ce qui la motive et qui essaie d’accorder quotidiennement ses choix avec ses valeurs.

Sa progressive prise de conscience de l’urgence environnementale a été le déclic d’un cheminement qui
Ça fait neuf ans qu’elle a fait le choix de devenir paysanne, de manière autodidacte, tout en ayant aussi une casquette de travailleuse et coordinatrice sociale pour l’Etablissement Vaudois d’Aide à la Migration, poste qu’elle a quitté fin décembre 2022. En plus, elle participe aussi au monde de la politique, en tant que députée au Grand Conseil Vaudois et conseillère communale à Bex, au sein du parti des VERT.E.S.
Je m’intéresse au parcours qui l’a amenée à ses activités actuelles et j’apprends que son attachement au monde agricole vient de loin. En effet, si ses parents n´étaient pas des agriculteurs, ils étaient néanmoins très orientés vers «la Nature et l’Écologie ». Cet intérêt familial a exercé une influence sur la fascination que Martine Gerber ressent face à la position de paysanne. Elle préfère d’ailleurs cette dernière dénomination à celle d’agricultrice.

Quand j’échange avec Martine à propos de sa facette de « travailleuse sociale », elle ne la sépare pas de son approche écologique du monde. Elle soutient en effet que le principe écologique de durabilité repose sur trois piliers : l’environnement, la société et l’économie. L’agriculture et la protection de la diversité, certes, sont concernés par ces principes, mais ces derniers interrogent aussi la place de l’humain dans la société, le vivre ensemble ainsi que l’économie qui nous relie. Elle se questionne sur la manière dont ces trois piliers se complètent et se contredisent.
Elle aime son métier. Elle me parle de la responsabilité de travailler la terre et d´élever des troupeaux. Cela soulève des défis en lien avec les valeurs et les choix à faire. Jusqu’où accepter de faire de l’élevage d’animaux destinés à être tués pour nourrir des humains ? Elle élève des moutons et des ânes. Les premiers mangent de l’herbe et du foin de ses propres pâturages et fournissent de la viande. Ses ânes pâturent aussi et font des randonnées.
Elle est très lucide à propos de la réalité des petits agriculteurs. L’autonomie n’est plus possible, ils ne sont plus rentables face aux grands producteurs et autres distributeurs, ceci autant au niveau suisse qu’au niveau international.
Cette agriculture – soutenue financièrement par certains projets initiés par les Cantons et la Confédération – comporte un biais selon elle, puisqu’il est actuellement impossible de subvenir à ses besoins en ne comptant que sur la vente de ses produits. La paysannerie de montagne a, en plus, la particularité de ne pas être adaptée à une agriculture intensive. Sa production est donc limitée et la main d’œuvre nécessaire plus importante, ce qui accentue le peu de rentabilité économique d’une exploitation.
La vie de de mon interlocutrice n’est pas exempte de moments de découragement, mais ils s’estompent quand elle commence à parler de la satisfaction que la proximité de ses bêtes lui procure. L’apport des intelligences d’autres espèces, leur générosité, lui permettent une distance à la réalité sociétale quotidienne qui l’aide aussi à mieux comprendre ce qui se joue chez l’humain.
Le sens du groupe dans les troupeaux génère un sentiment contrasté par rapport aux comportements humains, qui eux, sont devenus très individualistes, répondant souvent à une dynamique du « seul-pour-soi-même », et semblent perdre peu-à-peu le besoin d’être solidaires.
En tant qu’éleveuse, elle se sent habitée par une responsabilité face au troupeau. Elle fait en sorte qu’il reste sain et prospère lui accordant plus d’importance dans son ensemble qu’à chacun des individus le composant. Le collectif prime. Quand je l’entends me parler du lien entre l’animal et l’humanité, qui remonte à 14 000 ans, et du besoin de mettre de la conscience dans ce lien et notre responsabilité collective de ne pas laisser l’élevage aux méthodes industrielles, je me sens transportée dans un espace hors du temps. Quelque chose en moi comprend, au-delà de ses mots, le maillon perdu qui parle de notre brèche entre notre véritable nature et le mirage qui nous entoure dans le monde d’aujourd’hui.
En tant qu’éleveuse, comment vit-elle le fait que ses animaux iront à l’abattoir et seront mangés ?
« Aucun éleveur ne va à l’abattoir content », me dit-elle. « C’est toujours un moment délicat, qui les touche et cela appelle à manger en conscience, avec respect. » De la même manière, elle nous invite à manger en conscience aussi les légumes.
Le message qu’elle adresse aux membres de la coopérative est : « même si vous mangez des produits de qualité et respectueux de l’environnement, ne consommez pas trop et apprenez à produire vous-mêmes. »
De retour chez moi, assise à mon bureau, je regarde par la fenêtre et j’envoie à mes deux petits cageots qui constituent un mini potager un regard rempli de reconnaissance. C’est ma bien mince contribution sur ce chemin vers la sobriété heureuse, mais je me rappelle qu’un petit pas après l’autre,… on peut aller très loin. Ana Maria
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