Lorsque j’arrive au domaine de Jean-Daniel Cavin, à Vulliens – notre fournisseur en huile de chanvre – je souris en voyant un panneau qui demande de faire « attention aux chats ». Mon hôte du jour m’apprend qu’il y a 6 petits et qu’il tient à ce qu’on ne les écrase pas. Il tient aussi à ce que nous soyons vigilants à ne pas emporter, après notre passage, l’un ou l’autre qui se serait faufilé dans la voiture. D’après lui, ils sont très curieux.
Nous nous attablons avec un délicieux jus de pomme fabriqué par ses soins et, petit à petit, il me dévoile en quoi consiste son activité.
D’après une inscription sur un mur en pierre, le domaine appartient à sa famille depuis 1859. Il a donc baigné dans le monde agricole dès son plus jeune âge et n’a jamais douté qu’il perpétuerait la tradition familiale… tout en l’actualisant pourtant au fil du temps.
Il a donc évolué en passant par différents labels agricoles : IP Suisse, puis Bio et finalement la biodynamie. C’est en 2020 que sa pratique intègre les normes qui lui permettent d’arborer fièrement le label « Demeter ».
Son activité professionnelle est bien plus large que celle de fabriquer l’huile de chanvre comme celle que nous lui achetons au Radis.
Il conjugue, en effet, la culture des céréales et des fruits avec celle du safran, du piment de Sichuan (entre autres), et tout cela en parallèle avec des élevages de dindes, de poules, de canards, de chèvres, de moutons et de vaches.
Ce qui m’a le plus touchée est sa description de l’interrelation qu’il voit et ressent entre ces différents mondes.
J’entends de sa bouche pour la première fois de ma vie les noms de différentes races de canards et d’oies, comme – par exemple – les oies de Diepolz, une race allemande qui risquait de disparaître et qui est aujourd’hui considérée comme une espèce à protéger.
Il a aussi des moutons de la race Skudde, provenant des Landes, et des chèvres Boer, originaires de l’Afrique du Sud.
Tout ce beau monde vit en interrelation. Les canards et les oies mangent l’herbe et les limaces tout en préservant la vie des crocus qui donneront le safran.
J’apprends encore au fil de la discussion que 5 oies mangent autant d’herbe qu’un agneau. En parallèle aux services que semblent se donner les uns aux autres les êtres vivants du domaine, il y a aussi cette autre réalité : celle des renards, des buses et des milans de la région qui viennent parfois chercher leur proie chez les protégés de M. Cavin.
Puis nous abordons ensemble le sujet du chanvre, cet élément qui m’a poussé à lui rendre visite. Il m’apprend qu’il a mis du temps à se décider à intégrer cette plante dans son activité agricole. Il avait des réticences par rapport à la mauvaise réputation de cette dernière connue surtout en tant que drogue.
Il a donc particulièrement creusé le sujet et s’est bien renseigné sur cette plante et ses vertus avant de se lancer. Il reconnait aujourd’hui que sa culture est fantastique. Il n’y a pas besoin de désherbage mécanique, la plante pousse très vite et a une action allélopathique.
Ce mot – que je croise pour la première fois – veut dire que la plante a la particularité de produire une substance chimique qui empêche le développement des adventices, donc d’autres plantes indésirables ne pousseront pas à ses côtés !
L’huile de chanvre et les graines de chanvre, qu’il vend aussi, ont de magnifiques propriétés, dont les omégas 3, 6 et 9.

Son métier lui plait énormément. « Être avec la nature c’est la vraie vie. » et il est particulièrement heureux d’avoir réussi à fonctionner en autarcie. Il n’achète que du sel minéral et du sel pour le bétail, plus quelques semences principalement pour les herbages.
Pour le reste c’est lui qui produit le tout.
Il fait de la vente directe de ses produits et il bénéficie aussi de contributions étatiques. « C’est tellement dommage, me dit-il, que l’on ne puisse pas vivre de la vente de sa production ! »
Ce qui lui est le plus difficile dans son travail, c’est d’amener ses animaux à l’abattoir. Il garde les mères et vend les petits. Il fait aussi commerce de la viande en vente directe, par cartons de 20 kg avec des morceaux divers et bénéficie d’un réseau de clients qui lui sont fidèles.
A plusieurs reprises lors de la conversation, il mentionne les changements que le climat impose, soit sur le moment judicieux pour planter ou récolter, soit par rapport aux choix à faire sur son domaine.
En ce moment il est en train de mettre en place un nouveau projet, agro-forestier, avec une conception « Keyline », c’est à dire une technique permettant de maximiser l’utilisation bénéfique des ressources en eau d’une zone de terrain. Il me parle alors des arbres fruitiers qui pousseront sur la colline, en suivant les courbes du terrain. Il me montre un dessin pour me faire comprendre la stratégie de la meilleure utilisation de l’eau de pluie. Il sait aussi déjà quel type de taille il désire faire à ses fruitiers: une taille en têtard que l’on démarre à partir des trois ans de l’arbre, ensuite chaque deux ou trois ans on retaille, et ainsi de suite.
Son rapport au temps est lié à la sagesse des gens de la terre, bien loin du rythme vertigineux que la société actuelle, où tout doit être accessible immédiatement, à la vitesse d’un seul clic, cherche à nous imposer…
Et voilà que j’ai moi aussi perdu la notion du temps. Je me rends soudain compte que j’ai plus d’infos que celles nécessaires à nourrir mon portrait dans la newsletter. Je pose donc à M. Cavin la question de la fin :
« Quel est votre message pour les membres de la coopérative ? »
Il n’a pas besoin de réfléchir et répond du tac au tac : « Continuez à favoriser la vente directe sans engraisser les vendeurs ou transformateurs ! C’est du win win, gagnant pour les producteurs, gagnant pour les consommateurs » Je reprends alors le volant de ma voiture – pas de chats ni dessous ni dessus – et je m’éloigne lentement pleine de cette gratitude de pouvoir approcher des personnes qui portent en elles la sagesse des gens de la terre. Je regarde le paysage et m’émerveille de la nature qui, malgré les dégâts que nous humains lui infligeons, nous prouve chaque jour la puissance de la vie. Ana Maria